Vraiment les gars ça me pique un peu les yeux votre gentillesse, un coup a me refaire croire au père noel... Et dieu que c'est bon. Du coup moi aussi j'ai un petit cadeau, une nouvelle que j'ai écrite il y a qq années, et que je pense pas beaucoup d'entres vous on lu...
Pas même une bulle
C'était un de ces vieux édredons, plus en plume qu’en duvet, lourd comme la chaleur qu’il dispensait. En émergeait juste le haut de ma tête, pas de chauffage dans la chambre. Et dehors, alors que l’aube était encore loin le coq se mit à faire son raffut habituel. Il était comme ça ce coq, en avance. C’était le signal que j’attendais depuis pas loin d’une heure, j’avais 12 ans et j’allais à la pèche.
J’enfilai rapidement mes vêtements glacés et, dans l’obscurité, ouvris la porte sans bruit. Un bout de couloir, un escalier, j’étais dans la cuisine. Tout était prêt, il ne me restait qu’à mettre le feu sous la casserole en alu. Le temps que le lait chauffe j’avais généreusement beurré deux grosses tartines. J’aimais cette heure entre loup et chien, la maison respirant autour de moi, habitée de la présence de mes grands-parents qui dormaient encore au-dessus de ma tête, et du pouls de l’horloge westminster. J’étais seul et entouré, un sentiment que j’ai retrouvé plus tard, quant au volant d’une voiture, dans la nuit, ma femme et mes enfants endormis, j’étais en paix, en ayant l’impression de toucher, d’effleurer là quelque chose d’essentiel, mais sans chercher à savoir quoi. C’est aussi le goût que je crois à un quart de nuit sur un voilier, un petit univers dans le grand. Les tartines et le chocolat engloutis, j’enfilai une veste chaude et un peu trop grande, une paire de bottes et éteignis la lumière en empoignant mes cannes qui m’attendaient au garde a vous. Un coup d’œil dans la vieille besace en cuir que m’avait donnée pépé, oui les tartines préparées la veille au soir étaient là. Je sortis avec précaution, pour ne pas faire gémir le bois vieillissant de la porte. Ça y était j’étais dehors. J’avais décidé d’aller pêcher pas très loin. Juste quelques champs engourdis à traverser, une haie de marronniers à longer. La rivière était devant moi ourlée par ces grands peupliers sous lesquels, avec fébrilité, je montai mes lignes. L’aube était là et le jeune soleil de mars ne réussirait à disperser la brume qui flottait au-dessus de l’eau paresseuse que beaucoup plus tard. Les oiseaux s’en donnaient à cœur joie et mes yeux ne quittaient pas mon bouchon qui dérivait doucement. C’est alors que je les entendis. Là-haut, à la cime d’un des peupliers sous lesquels je me trouvais, une bande de corbeaux s’invectivaient. C’était de très grands arbres, presque à maturité, aussi il fallait que je me torde le cou pour les apercevoir. Ça bardait, tous s’y mettaient, un vrai concert de cris rauques et stridents. Laissant tomber la pêche, je pris du recul pour mieux les observer et tenter de comprendre le pourquoi d’un tel remue-ménage. Ils en avaient après l’un des leurs. Une douzaine d’oiseaux l’entouraient et lui criaient dessus. Autant que je pouvais le voir, lui, était groggy, peut-être blessé. Il se cognait aux branches, harcelé de près par un membre de la troupe. Je me demandais bien ce qu’il pouvait avoir fait pour mériter une telle désapprobation. Une trêve dans le drame et je regagnai ma canne où justement un poisson tirait tout ce qu’il pouvait sur la ligne. Zut ! Il allait être difficile à décrocher, sûrement il avait avalé profondement l’hameçon. C’est le poisson à la main qu’un fracas de branches au-dessus de moi me fit rentrer instinctivement la tête dans les épaules. Un silence, une ombre noire et l’eau qui explose. Il était tombé presque à mes pieds, à moins d’un mètre de la rive. Ses ailes étrangement déployées autour de lui, il flottait, la tête hors de l’eau. Et il me regardait. J’étais pétrifié. Le poisson, en remuant, m’arracha à son regard. Empoignant la canne je le remis à l’eau, en laisse. Tout doucement, au fil du courant l’oiseau dérivait, je ne savais que faire et un moment je cherchai autour de moi une branche assez longue pour le ramener vers la berge. Rien. Et de toute façon il était trop tard, il était maintenant hors de portée. Pas loin de l’autre rive une branche affleurait l’eau. Sa tête s’y engagea, et il coula, sans une protestation. Pas même une bulle. Il y avait un corbeau, il n’y en avait plus.
Je ne me souviens plus si j’ai continué à pêcher après ça. Mais j’aime à penser que non. Par contre j’y ai souvent songé en méditant sur la cruauté de ce peuple corbeau. Et sur la chance qu’il ne me soit pas tombé dessus. Ce n’est que bien plus tard que j’ai appris que ce que je prenais pour des cris d’agression étaient en fait des encouragements, qu’ils l’enjoignaient à tenir le coup, à ne pas lâcher prise. Les corbeaux sont ainsi faits.
Voili voilà... Encore merci a vous de démontrer que l'humanité est diverse et varié, le pire côtoie le meilleur... Merci spécialement a WASP, mon monsieur loyal...
_________________ " En détruisant ce qui relève de l'ordre naturel, nous nous dévorons nous même a vif." William kittredge
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